Domaine d'Evordes

Visite du domaine d’Evordes  -  Balade découverte du 16 mars 2016

Dans le cadre des festivités organisées par la commune de Bardonnex à l’occasion du deux centième anniversaire de l’entrée de la commune de Compesières dans la Confédération, la Mémoire et l’Association des seniors de Bardonnex étaient chargées de présenter l’aspect historique de cet événement.

Tandis que M. et Mme  Ormond faisaient visiter leur demeure, remarquable par la perfection de ses dimensions et restaurée dans les règles de l’art il y a une quinzaine d’années,  Gaetane Chacon, guide du patrimoine, donnait des explications sur l’histoire du domaine et les caractéristiques architecturales des différents bâtiments.

Le domaine a été constitué au cours des 16e et 17e siècle par la famille Fabri, très influente à Genève, de la Réforme jusqu’au milieu du 18e siècle. Il s’agrandit par une série d’achats, d’échanges de terres et de mariages pour atteindre une superficie d’une quarantaine d’hectares, d’un seul tenant, et il s’est maintenu dans la quasi totalité de son étendue jusqu’à nos jours.

La maison de maître, en dépit de sa volumétrie harmonieuse et régulière, dans la plus parfaite veine du 18e siècle, englobe des éléments antérieurs.
Marc Conrad Fabri (1717-1783) serait l’auteur des travaux qui vont conférer à la maison son apparence actuelle.

Son fils Isaac, criblé de dettes, sera contraint de vendre le domaine. Il est racheté par Madeleine Joly, fille d’un médecin genevois qui épouse en 1776 Charles Jean-Marc Lullin de Chateauvieux.

 Il fait ériger en outre une « tour helvétique », de 32 mètres, éphémère car trop fragile, et entreprend divers travaux d’aménagement, dont le creusement d’un lac miniature, qui resteront inachevés.

Alors qu’il est maire de Compesières  (1821-1827), Charles Lullin dote l’école des garçons d’un ouvrage d’agriculture élémentaire qu’il avait rédigé lui-même. En 1824, il est autorisé à repousser de 24 mètres le chemin public qui passe devant les bâtiments du domaine, ce qui va rendre plus spacieuse la cour d’honneur de la maison de maître.

En 1841, le domaine est acquis par Anne-Louise Pinard qui le vend ultérieurement aux Weber-Foneska sous la forme d’une rente viagère.
Le domaine sera par la suite, pendant un siècle (de 1882 à 1982) entre les mains de la famille Candolle- de Muralt.


Quand éclate la Seconde guerre mondiale, Pierre de Muralt, cavalier émérite et colonel divisionnaire, intervient auprès des autorités militaires pour les dissuader de réquisitionner les chevaux du cirque Knie. En marque de reconnaissance, le cirque, à chacun de ses passages à Genève, viendra donner des représentations nocturnes à Evordes.

Pierre de Muralt gère l’exploitation, mais le gros du travail est fait par le fermier Lucien Barillier.

En 1982, Pierre de Muralt et sa sœur vendent leur bien aux frères Durafour qui y installent un manège. Ces derniers, à la fin des années 1990, revendent la propriété à la famille Ormond tout en conservant le manège et l’école d’équitation implantés au sud, en bordure de la Drize.


 Alors que la nuit tombe, nous franchissons le pont de pierre qui enjambe la rivière pour nous rendre, à la lueur des flambeaux  auprès du monument érigé par Charles Lullin « à la gloire de la Confédération suisse, du Canton de Genève et des illustres alliés ».

 Charles Lullin fait partie en effet des grands bénéficiaires du Traité de Turin : non seulement son domaine sera rattaché à la Suisse – d’autres patriciens genevois ayant des domaines  à Bossey, Collonges ou Archamps n’auront pas la  même chance -  mais il obtient que la frontière fasse un crochet pour éviter que des terres qui lui appartiennent, situées sur la rive droite de la Drize, soient en territoire savoyard!  C’est précisément là qu’il fera  construire le fameux monument.


Au retour, Gaetane Chacon commente les panneaux historiques préparés par la Mémoire de Bardonnex, des cartes, des photographies et des documents, installés  sous une tente dressée dans la grande cour de la ferme. On voit comment les gens qui habitaient sur le territoire actuel de notre commune, après avoir été savoyards puis français, sont devenus genevois. Comme le remarque Jacques Delétraz dans son ouvrage sur la Commune de Compesières, « ce fut un saut dans l’inconnu. S’ils avaient été consultés, il est fort probable qu’ils auraient exprimé le désir de rester sujets de Sa Majesté Sarde. La perspective d’être unis à la cité huguenote ne devait guère leur sourire ».

Les Genevois, de leur côté, dans leur grande majorité, voyaient d’un mauvais œil l’arrivée de cette population rurale et catholique et ils firent peu d’efforts pour intégrer les nouveaux venus, traités du reste comme des citoyens de seconde zone. Les effets de cette politique se firent sentir pendant de longues années, jusqu’au Kulturkampf,  - tout le monde connaît l’épisode du « baptême à la baïonnette », - et même au-delà.


 Dans cette même cour avaient été installés une buvette, des tables et des bancs. Les participants (près de 200 personnes) purent goûter aux vins genevois et déguster des mets locaux avant de regagner leur demeure, pour la plupart à pied , le Comité des fêtes s’étant fait un point d’honneur d’encourager la mobilité douce !

Merci aux familles Ormond et Durafour de leur accueil chaleureux et de nous avoir permis de visiter ces lieux soigneusement conservés, un joyau de notre patrimoine.

Emilien Grivel
Avril 2016

Photos de J-P Michaud

Ouvrages consultés:
Christine Amsler, Maisons de campagnes genevoises du 18e siècle.
Jacques Delétraz, La commune de Compesières
Paul Guichonnet et Paul Waeber, Genève et les communes réunies
Claude Barbier et P-F Schwarz, Atlas historique du pays de Genève