Château des Avenières


Visite du Château des Avenières   4 mai 2016

Une bonne trentaine de membres se sont retrouvés,  le mercredi  4 mai, à  14 heures, sur le parking de l’Auberge communale de Compesières. Après avoir acquitté notre écot, nous nous sommes rendus en covoiturage au Château des Avenières où nous fûmes accueillis par M. Christian Regat, guide-conférencier, grand connaisseur des lieux.

Un escalier garni d’une rampe en fer forgé magnifique nous conduit au 1er étage. Nous entrons alors dans une pièce qui fut la chambre à coucher de Mary Shillito, un personnage central dans l’histoire du Château. M. Regat fait alors un exposé passionnant, illustré de diapositives, sur cette demeure mystérieuse, sa construction dans ce lieu insolite et sur les personnes extravagantes qui l’habitèrent, jusqu'à ce qu’elle devienne un hôtel-restaurant prestigieux.

C’est Mary Wallace Shillito, fille d’un milliardaire  américain qui est à l’origine de cette aventure. Née, à Cincinnati où son père, avait amassé une fortune colossale en créant notamment les premiers grands magasins, elle vient à Paris parfaire son éducation et fréquente les milieux artistiques aux mœurs souvent légères.
Venue en villégiature à Genève, accompagnée de son amie Marcelle Sénard, elle découvre un endroit d’une beauté sublime lors d’une promenade sur les flancs du Salève et décide d’y bâtir un château.
Pour réaliser cette construction, à 1000 mètres d’altitude, il faudra surmonter de nombreux obstacles. Les pierres d’un calcaire de grande qualité, proviennent de la carrière de Comblanchien en Bourgogne. Elles seront acheminées par le train jusqu’à la gare de Saint-Julien, puis transportées par des attelages de bœufs ou de chevaux loués à des paysans du Chable et de Saint-Blaise. Les travaux, commencés en 1907 par les architectes Louis Guinot et Paul Morel, dureront 6 ans.

En hiver, le chantier étant interrompu en raison de la neige, Mary et Marcelle en profitent pour courir les antiquaires et les brocanteurs. Elles font l’acquisition de meubles, de peintures et d’ornements de grande valeur : tapisseries de Beauvais, retable d’autel polychrome du XVe siècle, rampe d’escalier en fer forgé, cheminées de marbre richement décorées, etc.
Les deux femmes, malgré leurs extravagances sont bien acceptées par la population car la construction et les aménagements du parc et des accès donnent du travail aux gens de la région. Elles recrutent un nombreux personnel (15 jardiniers !) et financent une œuvre de bienfaisance pour les familles nécessiteuses.
Les 35 pièces du château ne tardent pas à accueillir le gratin de l’élite parisienne. C’est dans ce contexte que Mary fait la connaissance d’Assan Dina, un indien passionné par l’assyriologie et les sciences ésotériques. Elle va même l’épouser en janvier 1914 alors que Marcelle, s’en va avec Mabel Dodge, une américaine excentrique de passage aux Avenières.
Disposant des moyens financiers importants mis à disposition par Mary, Assan Dina va donner libre cours à sa créativité et à son ingéniosité. Petit fils du maharadja de Lahore, Assan, qui est un ingénieur expérimenté, fait construire à Chosal une centrale pour permettre l’électrification du domaine. Il installe également d’autres centrales du même type à travers la France. Il capte des sources et amène l’eau courante au château ainsi que dans les localités voisines, par exemple à l’Abergement où ses initales figurent sur la fontaine. Il dessine et entame la construction d’une route menant au sommet du Salève jusqu’au lieu choisi pour installer ses télescopes. Pilote, il entreprend la construction d’un terrain d’aviation près de l’observatoire Vallot, sur le Mont-Blanc.

Parallèlement à ses réalisations scientifiques, Assan Dina mène une quête métaphysique qui se traduit par plusieurs ouvrages de caractère philosophique. Sa passion pour l’ésotérisme  se traduit par les mosaïques  qui ornent la chapelle du château où les figures emblématiques des quatre évangélistes côtoient les lames du tarot de Marseille réinterprétées par le célèbre ésotériste Oscar Wirth.

En 1928, revenant de Ceylan où il était allé se recueillir sur le tombeau de sa mère, il meurt subitement sur le paquebot Orsova alors qu’il franchit le canal de Suez.

Devenue veuve, Mary reprend les nombreux chantiers en cours. Elle s’associe à René Guénon, une grande figure de l’ésotérisme à la réputation sulfureuse, le nomme directeur de la revue « Le voile d’Isis »  et fonde la  librairie Vega.

Mais elle se brouille assez vite avec René Guénon et tombe sous le charme d’un pianiste, Ernest Britt qui appartient à un groupe d’occultistes. Ils se marient  en 1930 et mènent une vie fastueuse. Cependant la crise de 1929 porte un coup fatal à la fortune de Mary. En 1935, le château est mis en vente et c’est un notaire de Chambéry, Jean-Louis Victor Guillermin qui le rachète.

Mary aménage une villa sur  la petite ìle de Salagnon, au large de Montreux, mais elle est terrassée par une crise cardiaque, le 22 septembre 1938, avant d’avoir pu s’y installer.

Pendant une longue période, le château est loué à des institutions caritatives. De 1937 à 1942, à une congrégation ursuline de religieuses polonaises en exil, puis à un organisme associé à la Croix-Rouge suisse. Des enfants juifs y sont hébergés clandestinement et des maquisards blessés viennent s’y faire soigner.

En 1948, le collège de Juilly en fait un lieu de vacances et des personnages connus comme Claude Brasseur ou Philippe Noiret viendront y séjourner.

Le domaine des Avenières est acquis en 1971 par un négociant en vin de St-Julien, Georges Duvernay, mais son décès tragique, 8 ans plus tard, oblige son épouse à le revendre.

Le nouveau propriétaire est un architecte suisse, Pascal Haüsermann qui remet en état le château tout en élaborant un projet faramineux : faire du domaine le complexe immobilier le plus moderne de la région comprenant 72000 m2 de surface construite à l’arrière du château et l’aménagement d’un golf qui nécessite le défrichement de 70 hectares de forêt !

Le dossier, présenté en 1986, est accepté par les autorités de Cruseilles, mais suscite l’opposition véhémente des écologistes et des chasseurs.

En 1993, Pascal Haüsermann écrit un livre : « Assan f. Dina ou le sphinx des Avenières » destiné semble-t-il à renforcer le mystère qui entoure cette étrange demeure et d’en augmenter ainsi l’attrait touristique.

En 1994, l’autorisation de construire est finalement accordée, mais dans l’intervalle, harcelé par ses créanciers, Pascal Haüsermann avait dû jeter l’éponge.

Le domaine est alors racheté par François Odin, co-fondateur de la SOPRA, une société d’informatique qui emploie 12000 personnes. François Odin habite Cruseilles depuis 1960. Deux de ses quatre enfants sont directement concernés par cet achat: Nicolas qui cherche une implantation nouvelle dans son activité d’hôtellerie et de restauration et Lionel, paysagiste désireux d’exercer ses talents.

Aujourd’hui le Château des Avenières est un hôtel restaurant de luxe qui fait partie de la chaîne « Relais et Châteaux ».

Après l’exposé, nous visitons les salons et différentes pièces du château, puis la Chapelle dont les mosaïques énigmatiques sont parfaitement conservées. (Elles avaient été cachées par des boiseries pendant  la période où le Château était occupé par des institutions religieuses !)

Nous nous rendons ensuite sur la terrasse qui surplombe une pièce d’eau pour jouir du panorama et nous promenons dans le parc transformé par Assan Dina en un jardin initiatique. Une grotte abrite un bassin en forme de vulve. Pour y entrer il faut franchir un rideau d’eau qui coule de la voûte. Le 21 décembre, jour du solstice, au soleil couchant, un rayon vient éclairer le fond de la grotte. De grands escaliers, dignes du château construit par Louis II de Bavière à Lindenberg, descendent vers les prairies. Le nombre de degrés de ces différents escaliers a probablement une signification symbolique.

La visite se termine, à la satisfaction générale, par un délicieux goûter servi dans ce qui fut la chambre à coucher de Mary Wallace Shillito.


Emilien Grivel           10 mai 2016

Texte rédigé à partir de l’exposé de Christian Regat et de son livre narrant « L’étrange histoire du Château des Avenières »

Autres ouvrages consultés :
Georges Humbert, « Le Château des Avenières 1907-2007 Cent ans d’histoire... »
Pascal Haüsermann, « Assan F. Dina ou le Sphinx des Avenières »